Imaginez donc deux blondes entrain de vivre ensemble avec les avantages qui vont avec. Vous ne voyez toujours pas ? C’est sans doute parce que vous n’avez pas l’esprit assez ouvert pour réfléchir deux secondes à ce qui pourrait se passer à l’étage numéro sept, porte trente-et-une. Et oui, parfois, même les détails qui nous semblent les plus insignifiants méritent d’être remarqués. Vous ne comprenez toujours rien ? Allons, ça va finir par venir.

Un café à la main, je rentrais à la maison dans le simple but de révéler enfin à ma colocataire adorée que j’avais revu Priam il y a à peine deux jours. J’avais réfléchir car effectivement, ça me demandait une certaine réflexion. Me dirait-elle que c’est mal ? Me dirait-elle que je fais une pitoyable connerie en essayant de le revoir encore et encore ? Jusqu’à quel point, cependant, une personne extérieure peut comprendre l’effet que ça m’a fais de savoir que quelqu’un pouvait m’encourager, au-delà de mon apparence, au-delà de tout le reste, juste pour ce que je suis au fond de moi. Priam avait compris. Avec lui, je comprenais tout également. Parfois, je me surprenais à croire qu’il était un genre d’idéal masculin, un homme qui ne cherche pas à séduire une femme pour obtenir quelque chose. Il le ferait juste pour l’aider à surmonter un chagrin, pour combattre de vieux démons. En tout cas, il était l’homme le plus charmant que j’ai eu à rencontrer après Matthys qui restait le plus marquant dans mon existence. Ne dit-on pas que le premier amour reste le plus marquant ? En tout cas, avec Priam, il n’était pas réellement question de sentiments sauf si j’étais justement entrain de me violer la face juste par peur des représailles ; peur de ce qu’il pourrait advenir au final. Mais ce n’est pas comme si je ne savais pas déjà.

L’ascenseur. Il ne faut pas rêver. Je n’ai plus l’âge de monter sept étages par mes propres moyens. Vingt-trois ans, ce n’est sans doute pas être vieille mais dans mon cas, ça veut déjà dire avoir combattu plusieurs années de cours de gym. Fausses dispenses, fausses maladies, … Il faut vraiment en arriver à faire n’importe quoi pour lutter contre ce que l’on ne veut pas faire. Au final, je me dis que ça m’aurait bien servi de suivre ces cours. Je ferais certainement preuve d’une endurance un peu plus présente. En attendant, je devais me contenter de mes capacités physiques et cessais de me plaindre. Heureusement, je n’avais pas besoin de passer des heures à chercher mes clés car Ryan semblait être déjà dans l’appartement – à moins que son cerveau de blonde supraintelligente ait oublié de fermer en partant – mais sans plus attendre, je rentrais. « Ryan, t’es là ? » Question idiote, je savais qu’elle était là. Mais où, c’était une toute autre question. Peut-être que si je lui en parlais, elle allait surgir d’un coin quelconque. Surprise. « J’ai revu Priam. »

Je me laissais tomber dans le canapé. Cette journée avait été totalement inintéressante et, en plus, il n'y avait rien à la télé. Je lâchais la télécommande à côté de moi et je regardais Michael rompre avec Barbara puis Barbara aller s'envoyer en l'air avec un chinois dont j'ignorais le nom. Allez savoir pourquoi mais voir un chinois me donna envie de manger un repas chinois. J'attrapais le téléphone posé sur la table et je cherchais le numéro dans tous les papiers entassés sur la table. Je composais le numéro et je commandais pour deux en me disant qu'Ana ne devrait pas tarder à rentrer. Je raccrochais après avoir commandé et je m'avachis de nouveau dans le canapé pour continuer à regarder ce programme complètement idiot. Le chinois embrassait maintenant à pleine bouche un espagnol sûrement travesti. Barbara ne doit sûrement pas être au courant. Comment réagirait-elle en apprenant que son petit nem était avec une paella () ? Je me demandais comment un programme tel que celui-ci pouvait continuer et surtout faire des audiences. Peut-être que tout leur chiffre d'audience était fait de gens comme moi qui ne trouvaient rien d'autre à regarder. Je restais encore dix minutes à regarder Michael coucher avec la meilleure amie de Barbara puis essayer de se remettre avec Barbara etc avant d'entendre la sonnette. Je me levais en éteignant la télévision (pour que personne ne sache ce que je regardais) et j'attrapais mon porte-monnaie avant d'ouvrir la porte. Je payais le livreur et je récupérais le sac plein de bonnes choses. Je m'assis en tailleur dans le canapé et j'ouvris le sac. Je pris les baguettes pour commencer à manger en me disant que ce serait plus pratique avec une fourchette. Mais où était le plaisir de manger chinois sans des baguettes ?

J'avais déjà largement entamé un pot de nouilles lorsque j'entendis la porte s'ouvrir et Ana dire « Ryan, t’es là ? » Je tournais la tête vers la porte et je lui souris. « Oui. J'ai commandé chinois, t'en veux ? » Je souris en sachant pertinemment qu'elle en voudrait. Je me tournais à nouveau vers mon plat avant de l'entendre dire « J’ai revu Priam. » Elle n'avait rien besoin d'ajouter. Je savais que Priam était un interne à l'hôpital lorsqu'elle y était et qu'elle attendait plus de sa relation avec lui. Mais je m'étais aussi renseignée de mon côté et j'avais découvert que cet homme m'avait déjà draguée et embrassée dans un bar. Il fallait que je le dise à Ana puisque de toute façon, cet homme n'était pas bien pour elle. « Priam, c'est bien le docteur ? Tu savais que je l'avais déjà rencontré il y a quelques temps ? D'après moi, c'est un homme à femmes, il est du genre à draguer et embrasser des inconnues. Tu devrais pas t'arracher à lui. » A la fin de ma phrase, je réalisais que j'avais été plutôt froide et presque blessante. « Enfin, je préférais que tu le saches, je voudrais pas que tu souffres pour un mec comme lui. Racontes-moi comment ça s'est passé sinon ? »

Ana n’appréhendait pas forcément sa rencontre avec Maryan, tout comme elle ne se serait jamais rendue compte qu’elle pourrait revoir Priam au pas de cette fichue porte d’appartement et qu’elle puisse, au final, se dire que rien n’a réellement changé. Ce n’était que quelques mois, une histoire d’heures qui passent, qui défilent et qui laissent derrière elles des souvenirs devenus une réalité aujourd’hui. Elle ne regrettait rien, ni même de lui avoir adressé un mot. Il y avait quelque chose chez lui, quelque chose qui l’empêchait de le repousser, de le comparer aux autres hommes. Peut-être que son avis finirait par changer. Après tout, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis non ? En passant la porte, Ana ne savait pas très bien ce qu’elle allait y trouver. Une amie, une ennemie, une personne qui essaierait de lui faire comprendre qu’elle ferait le mauvais choix en tentant de le revoir, en se faisant cet espoir incroyable qu’il pourrait la voir comme une personne unique, différente d’une certaine manière. Dans un sens, elle l’était ; mais ce n’est pas comme si elle l’avait décidé. La maladie l’a atteinte comme le soleil vous laisse des coups de soleil après une exposition de longue durée. Il faut beaucoup de temps pour que ça s’estompe, beaucoup de temps pour contrôler la douleur, les brûlures, etc. La jeune femme était donc dans le même état d’esprit à cause de la bipolarité.

La première chose qu’elle perçoit ce sont les bruits de la télévision. Il n’y a pas grand-chose à faire aussi. Certains diront que San Fransisco est une ville dynamique, d’autres qu’ils sont parvenus à tout explorer. Ana faisait partie de ces derniers. Elle faisait acte de présence en demandant rapidement si elle était ici. C’était presque sûr que ce soit le cas. La télévision est un signe et puis il y a cette odeur de nourriture assez palpable dans l’appartement. Maryan répond, Ana sourit presque instinctivement. Elle n’avait pas spécialement faim, mais le chinois était quelque chose qu’elle appréciait tout particulièrement. Pourtant, elle ne se sentait pas d’humeur à se goinfrer alors à peine est-elle arrivée dans le salon qu’elle se permet de lui révéler sa rencontre récente avec Priam. Sur ce canapé même, où elle allait s’installer. Une paire de baguettes en main, elle regardait ce qu’il y avait de bon et attendait surtout une réaction de son amie. Cette dernière ne se fit pas attendre. « Priam, c'est bien le docteur ? Tu savais que je l'avais déjà rencontré il y a quelques temps ? D'après moi, c'est un homme à femmes, il est du genre à draguer et embrasser des inconnues. Tu devrais pas t'arracher à lui. » Comment ne pas se sentir aussi mal après ça. Déjà, elle avait beaucoup de mal à le croire lorsqu’il lui disait qu’il ne se passait plus rien avec cette Léna, ce premier amour comme il le disait. Ne rien dire, ne pas ressentir, ne pas s’énerver et ne pas se blesser soi-même. Voilà les quelques mots que se répétaient la jeune femme dans sa tête. Finalement, avant qu’elle n’ait pu dire quoi que ce soit, Ryan reprit la parole. « Enfin, je préférais que tu le saches, je voudrais pas que tu souffres pour un mec comme lui. Racontes-moi comment ça s'est passé sinon ? » Au final, elle pourrait faire comme si de rien n’était. Prenant un peu de pâtes dans la boite de Maryan, elle se mit enfin à parler. « C’est bien lui. Il n’est pas encore docteur mais ça va venir, je suppose. Et j’ignorais totalement que tu avais eu à le rencontrer une fois, que tu aies pu l’embrasser ou faire je ne sais quoi avec lui … Ce n’est pas comme si de mon côté, je ne voyais personne. » D’accord, ce n’était pas quelque chose à répéter mais c’était la triste vérité. « C’est pas grave au final. Je m’en fiche, il peut faire ce qu’il veut. C’est juste un type comme ça. » Premier mensonge. Tout ce qui le concerne lui importe, d’autant plus quand il s’agit de savoir qui il a pu fréquenter ou fréquente encore. « On s’est juste installé ici, on a discuté, mangé des glaces et puis voilà. » Elle hocha doucement les épaules, comme si de rien n’était. « D’où as-tu eu l’idée de commander chinois ? Tu sais que j’adore ça. C’est succulent. » Un bref sourire, un changement de conversation. Il n’était pas question de l’interroger cent ans sur leur rencontre, peu importe ce qu’il s’est passé durant celle-ci.