Le 28 juin 2011

Cher Andy,

Ferme les yeux… S’il te plaît, ferme les yeux, et oublie tout. Oublie ces dernières années, reviens en arrière… Encore plus en arrière que cela, je sais que tu peux le faire. S’il te plaît… Pour moi. Te souviens-tu ? Te souviens-tu de nos plus belles années ? Quand maman nous amenait au parc, que nous jouions pendant des heures et des heures dans le sable comme les deux enfants insouciants que nous étions ? Nous étions si bien, toi, avec ton petit pull marin que maman affectionnait tant, et moi, avec mon horrible robe à fleur… Nous étions beaux, innocents. Heureux. Je ne dis pas que nous ne sommes plus heureux maintenant mais avoue qu’aujourd’hui … C’est différent. Nous avions une vie presque parfaite… Oui, je dis presque, car l’argent de papa nous donnait tout ce que nous voulions. Je me souviens encore de la comédie que tu avais fait à l’âge de sept ans pour avoir ton super vélo dernier cri… Il ne t’avait pas fallu pleurer très longtemps puisque le soir même, lorsqu’on était rentrés de l’école, il était là. Posé fièrement contre la devanture de la maison. Nous étions alors partis, toi sur ton nouveau vélo, moi sur mon cycle Barbie tout rose. Quand j’y repense, oui, nous étions heureux. L’avenir nous importait peu. Nous n’avions peur de rien. Nous étions invincibles. Oh oui, invincible.
Et puis Lionel est entré dans ma vie. Et ce jour là, quand je lui ai adressé la parole pour la première fois, j’étais loin, très loin de me douter à quel point son existence allait la chambouler. J’ai très rapidement aperçu le regard en biais que maman lui a lancé lorsqu’elle m’a aperçue à côté de lui en venant me chercher le soir à l’école. Je ne l’ai pas compris tout de suite. J’ai d’ailleurs mi beaucoup de temps à le comprendre. Heureusement pour moi, pour nous, elle n’en a pas parlé à papa. Du moins, pas tout de suite, et c’est sûrement grâce à cela que Lionel et moi avons pu continuer à être amis. Car plus les mois passaient, les années, et plus nous devenions inséparables. Et malgré les remarques désobligeantes de papa à ce sujet, jamais je n’aurai laissé tomber mon meilleur ami, sous prétexte que nos familles respectives ne s’entendaient pas. Toi, tu ne te préoccupais pas de tout ça. Nous avions grandis tous les deux, et j’imagine que nos deux ans d’écarts se faisaient ressentir. Tu restais avec tes amis, moi avec les miens… Enfin, avec Lionel surtout, oui, je sais. Mais je savais que tu étais toujours là pour moi. Que malgré ton indifférence, si j’avais besoin de quelque chose, si j’avais des problèmes, tu étais là pour me défendre, et même face aux parents qui faisaient tout pour m’interdire de voir mon meilleur ami. Tu es parti quand tu as eu dix-huit ans. Tu venais de terminer le lycée, et tu t’es envolé pour New York. Même si les parents – et en particulier papa – refusait que tu y ailles, tu as su lui tenir tête. Tu t’es affirmé, et moi, du haut de mes seize ans, je t’admirais. Alors j’ai décidé moi aussi de faire ce que je voulais, et quelques semaines plus tard, Lionel et moi avions passés le cap de « meilleurs amis » à « petits amis ». C’était si bien… je t’assure… C’était si bien… Sept années ont passées, je m’affirmais moi aussi, refusant que papa et maman me dictent ma conduite. J’étais à l’université à San Francisco, et je me baladais avec mon appareil photo, prenant des images de tout ce que je voyais. Lionel et moi étions toujours ensemble, malgré tout ce que nos familles nous mettaient sur le dos pour que nous arrêtions de nous voir. Les idiots… ils ne comprenaient pas que nous ne voulions être que tous les deux. Juste tous les deux… mais finalement, après sept années à résister, papa a eu raison de moi. De ma patience. Il a réussi à semer le doute dans mon esprit en m’affirmant avoir vu Lionel avec une autre femme. Tu sais… je l’ai cru. J’ai cru papa. Et bien que Lionel ait tenté de me raisonner, j’ai préférer mettre fin à notre relation. Evidemment, il était hors de question de couper définitivement les ponts avec lui. Cela a été dur à faire, mais nous sommes finalement redevenus amis. Mais tu sais… je crois que croire papa et quitter mon premier et seul amour a été la plus grosse erreur de ma vie. Tout ça pour te dire que… profite de ta vie. Profite d’être loin des parents, amuse toi… et peut-être qu’un jour, j’aurai le courage de faire comme toi.
Quand reviens-tu nous voir ? Je t’embrasse affectueusement.

Ta petite sœur, Kay.