C’était si soudain, si tôt que je ne pensais pas pouvoir le croire. Pourtant, alors que je viens d'arriver, je le sens. Mon visage guette les réactions, mon sourire disparaît, ma joie se défait.Il ne reste plus rien. On le devine immédiatement, le jour est arrivé. Je le sens, je le sais. Je l’ai compris avant même de pouvoir le voir. Je viens de finir ma pause déjeuner il ne lui a fallut que quelques petites minutes. L’élan n’a plus d’utilité, mon corps lâche, mes jambes lâchent. Je vois leurs regards, ce sentiment s’appelle la pitié. Ils sont désolés, ils connaissaient tous Adeline, ils l’aimaient tous. Qui ne l’aimait pas ? Sloane, Ally, Pricillia son infirmière. Je n’ai pas besoin de demander, je ne peux pas le leur demander. Ma voix ne veut plus, ne peut plus émettre un son. Le pourra-t-elle de nouveau un jour ? J’en doute. Que me reste-il à faire ? Mes journées tournent autour d’elle, ma vie tourne autour d’elle depuis toujours, alors comment vivre ? Comment survivre ? Je ne sais pas. Le sol se dérobe sous mes pieds. Le contenu de mes sacs se déverse sur le sol. Il y avait le déjeuner à l’intérieur. Il faudra nettoyer et bien, je m’en moque. Elle est partie, elle a quitté cet hôpital, elle a renoncé à la vie. Et j’ai peur. Comme une enfant, qui n’a plus de repères, je me sens orpheline. Elle faisait mon tout, mais elle n’est plus rien.. Pourquoi c’est si dur de pleurer ? J’ai si mal, partout. Mon cœur, ma tête, mes jambes. En un instant, mon cœur n’a plus battu de la même façon. Je ne me souviens déjà plus d’elle, ni de ces moments passés avec elle. Je l’oublie déjà. Je ne veux pas l’oublier. Je l’aime. Elle me manque, alors qu’elle n’est plus là. Tout est de ma faute je le sais, il aurait fallu que reste au lieu de partir déjeuner, j’ai trop tardé, j’aurais du revenir plus tôt. Pour la sauver, pour qu’elle reste auprès de moi. Mais moi je suis encore là, je ne le mérite pas plus, je le mérite encore moins. Je n’ai rien fais de spécial, je ne suis rien de spécial. Une fille tout au plus. Je ne suis qu’une interne, je n’ai que vingt-deux ans. Je n’ai pas crée d’association, je ne veux pas changer le monde. Je me lève tous les matins je prends mon café et je travaille. Qui suis-je pour mériter de rester ? Personne. Sans elle, je ne suis personne.

***

C’est bizarre. Les sensations ont quitté mon corps. Je ne sens plus rien, je ne vois plus rien, je n’entend plus rien. Je ne sais même plus qui je suis, où je suis. J’ouvre les yeux alors que le sommeil s’envole. Il fait jour. Il fait beau. Dans mon cœur, il fait moche. Il ne me faut que quelques minutes pour comprendre, elle n’est pas revenue. Non, parce qu’elle ne reviendra jamais. Je tapote mon oreiller, je ne suis pas dans mon lit, ni dans ma chambre. Je suis chez Sloane. Je ne sais pas comment j’ai atterri ici, mais je reconnais les lieux. Seulement, je n’éprouve rien. Un immense vite, peut-être et c’est presque tout, presque suffisant. Je tourne la tête sur le côté et je vois Ally. Elle dort, sur une chaise. Je n’éprouve rien. Adeline me manque. Le manque, une sensation qui ne peut être expliquée mais que je reconnais maintenant. Il loge en moi. Peut-être pour toujours. On ne peut pas effacer une enfance. Ma grande sœur était le centre du monde à mes yeux, elle était mon exemple, la personne la plus courageuse du monde, la plus belle, la plus douce. Comment combler sa présence ? Je sais qu’Ally est réveillée mais je ne peux pas lui parler. J’ai perdu toute notion du langage. J’ai si mal. Une douleur aigue, inattendue et qu’on ne peut pas soigner. Je n’ai pas mangé depuis des jours, je le sens, mon ventre me le rappelle. Oui, je me souviens, je me suis écroulée sur le sol de l’hôpital, ils ont pris Adeline et je me suis retrouvée ici. Dans cette chambre. « Cleo. » C’est mon prénom qui résonne dans cette voix douce et cristalline. Je m’appelle effectivement Cleo. Je détourne la tête, non je ne veux pas. Je ne veux pas en parler, je ne veux plus jamais lever les yeux sur quelque un. Je sens ma meilleure amie se loger à mes côtés pour me prendre dans ses bras? Je ne veux pas de tendresse, je ne peux pas. Je sens les larmes qui viennent se loger sous mes yeux. « Cleo, tu dois me parler. » Non, Ally Je suis muette. Ma voix n’est plus. Rien n’est plus. « Mange au moins quelque chose, fais quelque chose. On est terriblement inquiètes.Tes parents sont ici, sur Salt. » Je ne veux pas manger. Mon corps le veux mais moi non. Mes parents sont là. Comment va ma mère ? Et mon père ? Adeline a toujours été le centre de leur monde, le centre de notre monde. Ils doivent aller mal.

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Je pose les pieds sur le sol. L’effort est énorme. Depuis plusieurs jours, c’est la première fois que je fais un geste anodin. Je sens le parquet froid craquer sous mon poids. Pourtant, je n’ai rien mangé. Je me sens d’humeur à sortir de mon cocon. Il est tard, je pense que tout le monde dort, en fait je veux juste grignoter et retourner dans mon cocon. Sauf que mes plans vont être dérangés. Sloane est dans le salon, devant la télé. « Sloane. » c’est mon premier mot, depuis des jours. Je n’ajoute rien d’autre. Elle ouvre ses bras et je m’y installe. Sa voix me berce «  Tu vas aller mieux. Je sais que tu penses que l’épreuve est insurmontable mais tu retrouveras la force d’aller mieux. Petit à petit. Tu ne l’oublieras pas mais tu vivras avec. au début, tu vas être dans le déni, tu ne penseras pas que cela puisse t'arriver, et que rien ne se serait passé. Mais tu verras avec le temps, qu'elle ne reviendra pas... Ensuite tu l'implorerais, tu prieras pour qu'elle revienne, et ce n'est qu'au final, longtemps après, que tu accepteras sa mort, même si tu te sentiras coupable de vivre. Tu souffres, mais tu réussieras à vivre avec..
. » Elle me caresse la joue alors que je sens que je craque de nouveau « comment tu le sais ? ». Elle prends ma main et me dit en plongeant ses yeux dans les miens « parce que j’ai vécu la même chose que toi. ». Alors, je découvre de nouvelles choses sur ma meilleure amie, l’espoir revient un peu.