« GABEAU, c'est comme si. phoenix, arizona. two years ago. »

« Alors comme ça… tu t’en vas, hein ? » Allongé sur le dos, les yeux braqués sur les étoiles, il garda le silence. Il n’avait aucune réponse lui offrir. Aucune qui répondrait véritablement à ses attentes. Il savait pertinemment que la séparation serait difficile. Plus pour lui que pour Beau lui-même. Après tout, il s’était toujours forgé ce mur infranchissable d’indifférence et avait une facilité déconcertante à s’habituer à toutes nouvelles situations. Ce qui n’avait jamais été le cas de Gabriel. Lui, il aimait avoir son petit confort. Il aimait se sentir entouré. Il s’était d’ailleurs enrôlé dans une routine qui lui plaisait et qui n’avait pas à être modifié selon lui. Beau avait essayé de lui dire que la vie n’était pas qu’un long fleuve tranquille. Il lui avait parlé des rafales de vent, des vagues trop vivaces et puis de Poséidon. Il avait tout essayé. Mais si lui et son frère avait bien quelque chose en commun, c’était cette manie d’être buté et de ne jamais prendre en considération les paroles d’autrui. « Tu pourrais me répondre pour changer. » Gabriel était adossé à un arbre et posait sur son frère un regard emprunt de mélancolie. Demain, tout cela ne serait plus qu’un vieux souvenir. Il devrait ranger Beau dans une sorte de boîte noire à l’intérieur de son subconscient. Il devrait fermer son esprit à tout ce qu’ils avaient vécu pendant dix-huit ans. Le cadet, quant à lui, se contentait de sourire l’air songeur. Il savait que son frère avait raison. Il ne répondait jamais véritablement aux questions. Il refusait de donner aux autres ce qu’ils attendaient de lui. Ce serait bien trop simple sinon. Toutefois, il se redressa sur un coude, l’observa un moment en silence. Imprimant chaque trait de son visage dans sa mémoire, il se jura qu’il reviendrait. Un jour. Quand il aurait fini ses études sans doute. Pas avant en tout cas. « Mais qu’est-ce que ça veut dire s’en aller ? » Ca aussi, il le faisait souvent. Répondre à une question par une autre question. Forçant ainsi Gabriel à perdre quelque peu le contrôle de sa quiétude habituelle. « Ne joue pas sur les mots, Lennon. » Il ne put alors s’empêcher de rire. Cette façon qu’il avait de l’appeler Lennon comme si leurs noms n’étaient pas identiques. Comme s’il n’était pas deux frères mais deux amis un peu bêtes qui se cherchaient des poux pour un rien. S’asseyant finalement en indien, Beau posa ses prunelles soudain sérieuses dans le regard fixe de son grand frère. « C’est comme si j’allais au pays imaginaire et que j’étais immortel. Quand tu fermeras les yeux, je serai juste là, derrière tes paupières closent. Comme si j’avais suivi un lapin blanc et que j’étais tombé dans le premier truc venu. C’est comme si j’étais ce que j’ai toujours été ; un gosse perdu. » Les explications de Beau n’avaient rien de rationnelles et étaient loin d’aider Gabriel à accepter la situation. Il n’avait jamais compris pourquoi il se prenait pour une sorte d’enfant perdu. Comme un personnage tout droit sorti d’un livre. Il ne comprenait pas que quelqu’un puisse aussi facilement s’enliser dans une indifférence totale du monde réel. « T’es pas perdu, t’as une maison. Et puis, t’as pensé à maman ? » Beau roula des yeux. Maman. Bien sûr qu’il y avait pensé. Comment aurait-il pu faire autrement ? « On va dire que c’est comme si elle avait jamais voulu de moi, ok ? » Gabriel baissa les yeux, conscient d’avoir abordé le mauvais sujet. Mais c’était la seule arme qu’il avait pour le retenir. Une arme à double tranchant, mais une arme tout de même. « Tu vas me manquer. » Il se mit alors debout sur ses deux jambes et s’approcha de son frère. Lui tendant la main, il le força à se relever à son tour. Puis, il captura son menton entre son pouce et son index, l’empêchant ainsi de détourner le regard. « Et toi, c’est comme si t’étais Robin et que tu prenais ton indépendance. J’en ai marre de faire la chauve-souris toutes les nuits, je suis pas un super héros moi. Toi par contre, t’en es un ! Et tu sais comme je le sais ? C’est mon petit doigt qui me l’a dit. » Son air était sérieux alors qu’il relâcha le menton de son frère. Il était fatigué désormais. Et sans plus de cérémonie, il le planta là. Allant rejoindre son lit pour sa dernière nuit à Phoenix.

« HEPBEAU, j'ai pas la réponse. san francisco, californie. today. »

Préparé et prêt pour se rendre en cours, Beau saisit son sac et quitta sa petite chambre. Attardant son regard sur la médiocrité de celle-ci. Ce n’était pas très grand et plutôt vide mais il en était follement amoureux. A chaque fois qu’il y pénétrait, un sentiment d’appartenance lui prenait les tripes. Il avait son chez lui. Comme tout le monde. Il appartenait à cette société, consternante et pourtant sienne. C’était à la fois fabuleux et dérangeant. Alors, comme à chaque fois, lorsqu’il ferma la porte Beay chassa son passé. Tout était derrière cette porte et il partait le cœur léger. Ce jour là, son besoin de se différencier était présent. Marchant jusqu’à l’école qui l’attendait, son esprit vagabondait. Le sourire aux lèvres il regardait ces gens qui le dévisageaient comme s’il venait d’un autre monde. Il admirait ce parc vétuste et dépouillé alors que tous le dédaignait. Il caressa le gros molosse du voisin alors que seul le chihuahua attirait l’attention. Et finalement, il pénétra dans l’enceinte de l’établissement. Toujours aussi envouté par l’ampleur de l’endroit. Il se dirigea vers l’auditorium tout en saluant quelques têtes connues. Il n’avait pas vraiment d’amis, et il s’en moquait bien. La solitude lui plaisait. Il avait appris à être individualiste. Alors, lorsqu’il du choisir sa place, il prit celle là plus éloigné de l’estrade. Celle côté fenêtre. Son esprit demandait évasion et il lui procurait divertissement. Jamais Beau n’avait été contre ses propres envies. Il faisait tout ce qu’il voulait, comme il le voulait. Il apprenait s’il voulait apprendre. Et ce jour était différent des autres. Son entendement somnolait alors que son imagination dansait.

Le professeur entra et commença son habituel discours. Le jeune homme le connaissait par cœur. Aussi, affalé sur sa chaise, il ne prêtait plus aucune attention à cet homme barbu qui représentait le savoir. Il n’en avait que faire. Il connaissait déjà chaque réponse à chaque question qu’il allait poser. Son passe-temps étant de dévorer tous les livres de la bibliothèque. Il savait déjà beaucoup de chose que les autres ignoraient et pourtant, il ne s’en vantait pas. Justement, discret, dans son coin il laissait le temps filer inlassablement. Attendant que l’heure passe. « Monsieur Lennon, voulez-vous vous redresser, je vous prie. » Redescendant sur terre, le jeune homme s’exécuta. Et offrit un sourire d’excuse à son professeur. Mais celui ne lui suffirait pas. Il avait constaté son manque d’intérêt et désormais, il serait la meilleure prise pour ces questions sans intérêt qu’il avait préparé pendant une heure la veille. « Monsieur Lennon, que pouvez-vous me dire de la mer morte ? » Mais quelle vaste question. Il avait des tas de choses à dire à ce sujet. Pourtant, adoptant un air désabusé, il se contenta de réponde d’un air détaché. « Rien, je ne savais même pas quelle était malade ! » Ils se mirent tous à rire. Comme si cette blague en valait vraiment la peine. Se rendant compte de l’attraction qu’il créait Beau n’était pas prêt à abandonner sur sa lancée. « Votre question était trop dure. Une autre ? » Comme s’il était en position de demander quoi que ce soit. « Que savez-vous des anciens grecs ? » Sourire ironique qui s’accroche à des lèvres fiévreuses. « Qu’ils sont tous mort. Question trop vaste, une autre ! » Les autres élèves portait sur lui un regard nouveau et il n’en était pas peu fier. « Qu’est-ce que la voix intérieure de l’homme ? » Changement de registre qui plaisait irrémédiablement mieux au jeune homme. « MIEUX. L’estomac qui crie, Monsieur Hepburn ! » Toutes la classe éclata de rire. Ce qui déclencha la colère du vieux professeur qui le mit dehors. « Hasta la vista, Tinkiwinky ! » Un tonnerre d’applaudissement. Et, rideau !