Je pénétrais d'un pas lourd dans le studio. Une musique qui m'était familière m'arrivait jusqu'aux oreilles. « Est-ce que c'est vraiment cette putain de chanson traditionnelle allemande remixée ? » Il arriva par derrière. J'eus à peine le temps de sentir son souffle dans mon dos, qu'il m'embrassait sensuellement dans le cou. Je m'écartais de lui brusquement. « Je te surprendrai toujours. » Je fréquentais depuis quelques temps un banquier de La City. Et lui, ce stupide photographe pervers, menteur et égoïste, essayait de me séduire. L'un était ma vertu, l'autre ma déchéance. Et peu à peu, c'était du démon que je m'éprenais. Il était beau et dangereux. Moi, j'étais petite et chétive. Tout me tournait vers lui alors que j'essayais de résister à sa beauté si peu commune. Mon coeur battait à tout rompre, mes sens étaient à fleur de peau. Il effleura mon épaule avec sa main froide pour faire tomber la bretelle de mon débardeur trop grand qui laissait ainsi deviner ma poitrine presque inexistante. « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant d'une femme inconnue... » Tandis qu'il faisait glisser l'autre bretelle, il me susurrait à l'oreille les célèbres vers de Verlaine. Peu à peu, mes jambes fléchirent, mes yeux se fermèrent, et l'obscurité s'empara de moi. Ses caresses, son souffle, ses baisers.

Nous avions adopté trop tôt ce genre de relation malsaine. On passait le plus clair de notre temps à faire l'amour ou à se droguer. Cependant, tout dérapa tristement. Nous étions fous amoureux l'un de l'autre, mais la drogue nous rongeait petit à petit. Nous ne pouvions parfois plus nous regarder en face, tellement l'image qui nous revenait était décevante. On avait un grand appartement dans le quartier branché de la capitale. Le genre d'endroit qui inspire le bonheur, mais nous avions du mal à le trouver. Quand nous étions chacun de notre côté, c'était encore pire. Lui et moi nous soutenions, on était complémentaires, la vie paraissait impossible sans l'autre à son côté. J'étais la moitié d'un tout. Nous avions tous les deux changé. Notre insouciance nous avait conduit dans un tourbillon dévastateur. Je l'observais, l'homme que j'aimais, j'aurais pu le qualifier de n'importe quelle autre chose à vrai dire. Il continuait à prendre des rails de cocaïne. « Tu peux pas t'arrêter avec cette putain de drogue ?! Je veux plus vivre tout ça, t'entends ? » Je soufflai en plein sur le tas de poudre blanche qui s'éparpillait partout sur le tapis. J'étais en ébullition. « Non, mais tu te fous de moi Franziska ! Je peux bien faire ce que je veux et rappelle toi bien qu'ici c'est moi qui commande. » Il me dégoûtait quand il avait cette attitude, avec son regard hautain et ses allures de macho. Il tentait de ramasser les restes de coke. Ses joues étaient creusées, il avait de grandes cernes noires sous les yeux. « Regarde toi, t'es pitoyable ! Tu étais capable de tout avoir et regarde ce que tu es devenu. Tu n'es plus rien ! » Les mots sortaient seuls de ma bouche et je savais très bien que j'allais les regretter. D'un geste violent, il renversait la table basse du salon. J'avais du mal à suivre tout ce qui se passait. Il saisit violemment mon bras. « Ne me dis plus jamais ce que j'ai à faire ou ce que j'aurais pu faire ! » Il forçait de plus en plus, et l'effet des drogues n'était pas assez important pour estomper ma peur. « Tu me fais mal, putain. Alors quoi maintenant, tu vas me tabasser comme tous les pauvres camés le font avec leur femme ? » D'un coup sec, il lâcha mon bras et me fit tomber sur le tapis. Les larmes coulaient sur mes joues. Je me demandais ce qui avait pu nous amener jusque là. Nous étions tellement libres que nous avions fini par nous jeter en pature aux lions. « Tout ça c'est de ta faute ! Tu es la pire chose qui me soit jamais arrivée, et tu le sais aussi bien que moi. Si je ne t'avais pas vu ce jour-là, esseulée, je ne t'aurais jamais rencontrée, et je n'aurais pas gâché ma vie pour une femme. » Qu'il me compare à une fille quelconque venait de me tuer. Je me relevais et me ruais sur lui. Avec mes petits poings, je tentais tant bien que mal de le blesser, pour qu'il comprenne, ce que je ressentais. Mais sans succès. Lui, riait aux éclats, de son rire machiavélique. Je lui mis une petite gifle, mais je n'avais pas prévu que celle qu'il allait me renvoyer, ce serait de toutes ses forces. Sa main atterrit si fort sur mon visage que je tombais à terre. Je pense que c'est là qu'il finit par saisir son geste et ses paroles. A toute vitesse, je le sentis se pencher au dessus de moi. Sonnée, je ne répondais pas. J'entendais de façon lointaine qu'il répétait mon nom, affolé. Je ne sais combien de temps passa avant que j'ouvre les yeux, allongée dans notre lit. Il n'y avait aucun bruit dans l'appartement, seulement les traces de notre guerre acharnée. Il était parti et n'avait laissé qu'un simple mot. « Je ne veux plus te faire de mal, je vais aller en désintox, attends moi, je te reviendrai. » Il y est allé mais n'est jamais revenu. Alors, j'ai refait ma vie, j'ai quitté l'Angleterre et j'ai fui à San Francisco.