« BORDEL DE MERDE, où j'ai mis ces fichus papiers ? » En entendant X jurer de la sorte, Muireall ouvrit grand les yeux. Il était assis sur son canapé, en mangeant des cornettos. Vu qu'il n'avait pas le droit de fumer dans l'appartement, il rejetait sa frustration sur la nourriture : « Mon dieu, ne jures pas comme ça, le seigneur t'entends, tu iras en enfer et tu te feras fesser par des anges diaboliques. » Muireall ricana en entendant ses propres conneries et surtout devant la tête de X qui se mit à murmurer : « Arrête de blasphémer, 'Reall. » Contrairement à sa famille adoptive, Muireall n'avait jamais été très croyant. Alors il s'amusait à embêter X avec ça, à la faire sortir de ses gonds. « C'est pas ça que tu cherches ? » demanda le jeune homme en agitant un paquet de feuilles sous son nez. X les lui arracha des mains, un peu trop énervée pour le remercier. « Elles sont toutes chaudes. Ne me dis pas que t'avais tes grosses fesses dessus ? » Ah, qu'est-ce que Muireall adorait entendre cette fille dire de telles obscénités, elle qui n'avait jamais osé dire de gros mots pendant près de vingt ans.

« 'Reall, c'est quoi tout ce bruit ? » La jeune femme, mi-réveillée, ouvrit les yeux grands en voyant le miroir brisé sur le sol et surtout, Muireall qui marchait dessus, sans même se rendre compte qu'il se coupait les pieds au sang. La jeune femme le fit reculer et le fit assoir contre le mur. Ce n'était pas la première fois qu'elle l'entendait faire un cauchemar. Pourtant, aujourd'hui, lorsqu'elle avait entendu ce bruit de vitre cassée, elle avait eu la peur de sa vie. Elle savait à quel point Muireall était fragile, sous ses airs de dur et de branleur. Elle savait que d'un jour à l'autre, il pouvait la quitter à jamais, sur un coup de tête et on ne sait de quelle façon. Elle s'accroupit face à lui et passa ses mains sur le visage du jeune homme. Elle déposa un baiser sur son front et fouilla dans un tiroir pour y trouver du coton et du désinfectant. Consciencieusement, elle nettoya les plaies sur la plante des pieds du jeune homme. Et soudain, Muireall vint lui saisir violemment la main, comme un petit enfant qui se souvient de ce qui lui as fait peur dans son cauchemar. La jeune femme lui serre un peu plus fort la main, pour le rassurer. Jamais, depuis le temps qu'elle le connaît, elle ne l'a vu dans un tel état. Les yeux plongés dans ceux du jeune homme, elle demande doucement : « Pourquoi... Pourquoi tu ne veux pas me raconter, "Reall ? Ca te ferait tellement de bien, j'en suis sûre. » Muireall détourna le regard. En prononçant cette phrase, elle savait qu'elle le blessait un peu plus. « Tu connais mon histoire, les journaux connaissent mon histoire. Je n'ai rien à dire de plus. » C'était glacial. La jeune femme préféra ne rien dire. L'histoire de Muireall, elle la connaissait un peu, c'était vrai. Parce qu'elle l'avait entendu de la bouche des juges, elle l'avait lu dans les journaux. A part ça, elle ne savait rien, elle n'avait pas la version de Muireall. Et c'est ce qui lui manquait. Les deux jeunes gens repartirent se coucher et la jeune femme put entendre son frère adoptif renifler de l'autre côté du mur. Elle savait qu'il pleurait, souvent, et elle se doutait qu'il se détestait d'être aussi faible. Muireall était comme les chats, blessé, il se cachait pour pleurer.

Malgré leurs quatre années de différence, ces deux-là sont vraiment très complices. Ils passent le plus clair de leur temps ensemble. Et même si X déteste le savoir seul dans l'appartement à ne rien faire pendant la journée, elle est heureuse de passer des soirées entières avec lui. Pourtant, ils ne se sont jamais considérés comme frère et soeur. Ils se sont rencontrés bien trop tard pour ça. « Je me barrerais pas de l'appart' ce soir. » « QUOIII ? Tu veux me pourrir mon rancard, c'est ça ? » La demoiselle avait hurlé et Muireall s'était bouché les oreilles en grimaçant. « Y'a un super film à la TV. » En entendant l'excuse du jeune homme, elle avait fait tomber le verre qu'elle tenait dans sa main. Mon dieu qu'elle pouvait le détester quand il se comportait en petit gamin égoïste. X décida de se venger, saisit le téléphone : « Maman, 'Reall m'a demandé de t'appeler, il viendra à la messe dimanche matin avec vous. » Muireall fit des gestes à X pour la supplier d'arrêter. Mais c'était trop tard, cette fille était vraiment une peste. Lorsqu'elle raccrocha le téléphone, Muireall pesta : « Ecoute, je t'épargne une rancard foireux. Tu choisis tout le temps les plus cons de la ville. Ceux avec une petite croix en or qui dépassent du polo. C'est déprimant. (...) Je préfère encore que tu finisses vieille fille avec des chats. » X avait levé les yeux au ciel. « Et tu me verrais avec quel genre de gars en fait ? » Muireall haussa les épaules et tenta de réfléchir. Il n'en savait rien. Juste pas ceux qu'elle ramenait et lui présentait. Peut-être parce qu'il était jaloux dans le fond. Il voulait sans doute être le seul à avoir le droit de l'embêter sur sa lubie de regarder la scène de la poterie de Ghost au ralenti, en pleurant. « Je ne dis rien de toutes les poufs que tu ramènes. Et à part crier une partie de la nuit, elles ne servent pas à grand chose dans ta vie, 'Reall. (...) Il faut que tu t'y fasses, on ne pourra pas vivre toujours dans le même appartement. On fera notre vie chacun de notre côté. » Muireall avait baissé les yeux et haussé les épaules. « C'est bon, j'te laisse l'appart, j'irais dormir chez John. » En voyant la mine déconfite du jeune homme, X s'en était voulue d'avoir été aussi dure. Et elle avait passé une soirée de merde, ne pensant qu'à l'altercation qu'ils avaient eu.